Jeudi 19 avril 2012 à 21:46

    Je parle rarement des livres que je lis. Et pour que j’en parle, il faut qu’ils me retournent. Je crois que c’est bien ce qu’il s’est passé avec Les derniers jours d’un homme de Pascal Dessaint.

    Ce nom ne t’est peut-être pas étranger, j’ai déjà parlé de cet auteur ici, quand il m’accompagnait dans les parcs de la ville rose. Mais cette fois, on a quitté les rives de la Garonne pour le Nord industriel ou ce qu’il en restait il y a 10 ans et, du coup, ça rigole beaucoup moins.

    A travers l’histoire à la fois sordide et banale d’une famille de prolos, qu’on désigne partout comme pédophiles, chômeurs et consanguins, Dessaint raconte les catastrophes humaines, sociales et écologiques engendrées par la fonderie de Metaleurop, fermée définitivement il y a à peine 10 ans. Déformation professionnelle oblige, j’ai été plus sensible sur la corde écologique. Mais il est bon de rappeler que le groupe propriétaire de l’usine l’a volontairement coulée [un comble pour une fonderie] en la surendettant pour avoir des arguments viables pour une délocalisation et une fermeture expresse. Une grosse entourloupe qui puait déjà bien la merde, avant Molex.

    Ce qui est bien avec Dessaint, c’est qu’il est précis mais sans en faire trop. Du coup, quand un personnage raconte les coulées de plomb ou de zinc à la sortie du haut-fourneau, on imagine plutôt bien la chaleur qui s’en dégage, la poussière qui envahit les poumons, et l’odeur de souffre qui s’en dégage.

    Mais, devenu plus ou moins familier de l’hygiène industrielle, surtout en ce qui concerne les métaux, ce qui m’a le plus écoeuré en lisant ce bouquin, c’est l’indifférence générale dans laquelle la fonderie de Metaleurop a pollué les sols et l’air au plomb, entre autres métaux. Que les ouvriers soient intoxiqués sur leur lieu de travail, c’est plus qu’une évidence. Mais toutes ces poussières de métaux ne s’arrêtent pas au portail de l’usine et contaminent les villages alentours, empêchant la population locale de faire pousser des légumes, de boire l’eau du robinet et les faisant crever à petit feu à coup d’augmentation de plombémie quand elle se trouve sous les vents dominants. Des dizaines d’hectares se sont retrouvés pollués au plomb, au zinc, à l’indium et à d’autres métaux. Une surface dont on ne pourra rien faire pendant des décennies, puisque la dépollution coûte un bras et que le propriétaire de l’usine, à qui il revenait de payer la dépollution, s’est barré avec la caisse.

     Mais, les environs de Noyelles-Godault ne sont pas une exception en France. L’industrie métallurgique y étant agonisante et pas seulement pour les hauts-fourneaux mosellans, on risque de retrouver un paquet de cadavres écologiques planqués dans les placards, quand on s’intéressera à la dépollution des sites industriels et à leur avenir. La vallée de la Maurienne est, pour quelques mois encore, polluée par les fonderies d’aluminium de Rio Tinto. Un paquet d’usines du groupe doivent fermer d’ici à la fin de l’année. Qu’est-ce qu’il deviendra des terrains autour, tous pourris par les poussières d’aluminium ? La même question se pose dans les environs d’Issoire. Même groupe, même métal mais alliages dopés au béryllium pour l’aéronautique et les TGV. Et le béryllium, c’est gros caca.

    Peut-être qu’un jour, l’écologie ne se résumera pas à rendre obligatoire des ampoules contenant du mercure pour économiser quelques grammes d’uranium. Lesquelles ampoules sont stockées dans des entrepôts, la moitié d’entre elles cassées, libérant ainsi le mercure au gré des vents et le laissant transpirer dans les sols jusqu’à ce qu’il arrive dans les nappes phréatiques, les cours d’eau, les rivières et jusque dans les poissons que l’on mange. Peut-être qu’un jour des scientifiques enquêteront sur les pollutions engendrées par les gros sites industriels, mais tous ne le font pas, pas sérieusement1. Peut-être qu’un jour on prendra conscience qu’à chaque fois que quelque chose est mené à très grande échelle, c’est la catastrophe assurée si la machine s’emballe. Et la machine industrielle s’emballe souvent.

 

    1 : Des scientifiques espagnols ont étudié la pollution au mercure autour d’une des plus grandes mines de mercure du monde, à côté de Tolède. Pour les anglophones, je vous offre ce bijou parsemé d’incohérences et dont la rigueur scientifique est absente. Offrir est bien le mot, ce « papier », qui est à la publication scientifique ce que Twilight est au cinéma, une belle bouse qu’on aurait préféré ne jamais voir, coûte au pékin de base une cinquantaine de dollars.

    Pour les non-anglophones, un petit résumé s’impose. Quand on étudie la pollution d’un milieu, on le fait souvent au travers d’animaux et de leurs organes. Ici, ce sont des sangliers et des cerfs qui sont étudiés. Ils ont été chassés aux alentours de la mine et servent d’indicateurs. Le taux de mercure est mesuré dans leur foie et leurs reins, organes bien connus pour stocker les métaux lourds, très peu éliminés. Nos chers scientifiques espagnols ont étudié le lien entre la distance par rapport à la mine et la concentration de mercure dans les organes des animaux.

    Et déjà, on sent les premières absurdités arriver. Les cerfs et sangliers ne sont pas un exemple d’animaux sédentaires et peuvent allégrement parcourir des centaines de kilomètres. Pire, la distance relevée est celle à laquelle les animaux ont été abattus. La logique aurait voulu qu’ils soient pistés, qu’on puisse déterminer combien de temps ils ont passé à 30km puis à 150km de la mine, histoire de faire un profil, de faire une moyenne pondérée. Mais non, si le sanglier a été abattu à 50km de la mine, c’est qu’il y a passé toute sa vie. Mais bien sûr !

    Et quand les incapables décident de faire un joli graphique pour résumer leurs recherches, ils trouvent une tendance qui tend à faire décroître la concentration de mercure dans les organes quand la distance animal-mine augmente. C’est vrai pour deux points, c’est faux pour les dix autres. La même concentration en mercure est mesurée à 50km et à 150km. Mais au lieu de dire qu’ils se sont peut-être trompés de paramètres, nos scientifiques assènent qu’il y a bien une évolution de la concentration en fonction de la distance.

    Comme quoi, la science on peut lui faire dire ce que l’on veut, pour peu qu’on n’ait aucune estime de soi et du boulot qu’on fait.

    Cela dit, je ne réfute pas qu’on puisse trouver une plus grosse pollution des sols et de la vie animale à 10km de la mine qu’à 100km, ça semble même assez évident. Mais la façon dont est montée cette étude, publiée dans un journal scientifique et relue puis validée par des experts, me donne très peu de foi dans l’avenir que peut avoir la science pour étudier l’impact de l’exploitation industrielle sur l’environnement. Plus précisément, c’est ma foi en l’humain qui en a pris un coup.

[Science sans conscience n'est que ruine de l'âme]

Samedi 4 février 2012 à 15:32

    Ca fait un peu plus d'un mois que je suis ici, à Nancy, même si, ces derniers temps on pourrait croire que c'est à Novossibirsk que j'habite. Je commence à prendre mes marques. Dans la ville, dans la vie, dans mon nouveau chez moi. Je commence vraiment à me sentir "chez moi". Les parenthèses rémoises sont fatigantes et souvent difficiles à refermer mais sont tellement de moments de bonheur que ça vaut bien de vivre entre deux endroits.

    Je ne me suis pas encore renversé d'acide fluorhydrique sur les mains et mes os se portent bien. J'espère que ça va durer. Je n'ai pas encore eu à sacrifier ma barbe au profit de ma sécurité en manipulant du béryllium, mais ça ne va pas durer. Je me sens bien, à l'I.N.R.S., très bien même. Et si le site de Vandoeuvre pouvait se téléporter à Reims, ça serait vachement chouette. Des boulots pareils, on n'en trouve pas à tous les coins de rues. Et dans la même vague de téléportation, j'emmènerais tout ce petit monde dans un coin du sud-ouest.

    Je suis toujours aussi serein, même si l'acquisition par ma muse du Pop'Art à Reims va encore quelque peu bouleverser nos vies, j'ai l'impression que rien n'est grave, qu'on pourra toujours changer nos habitudes, parce que les habitudes, c'est moche. On pourra toujours s'adapter. J'ai l'impression de vivre sur un nuage à ce niveau là, tellement ces derniers mois paraissent irréels et magiques. Je n'ai, pourtant, aucune visibilité sur l'avenir mais ça ne m'inquiète pas le moins du monde.

[Je suis heureux.]

Dimanche 18 décembre 2011 à 0:53

    Je suis à la veille ou presque d'un moment crucial : un déménagement, et pourtant je suis envahi d'une profonde sérénité qui n'a eu que peu d'égal dans ma petite vie. Malgré toute l'inquiétude qui peut régner dans ces moments là, je suis toujours un peu ailleurs. Et plus le temps passe, plus cette sensation de sérénité devient profonde et envoutante, apaisante.

    Je ne sais pas comment l'expliquer mais ce que je vis depuis trois ou quatre mois, c'est juste waouh. Je me dis que des choses comme ça n'arrivent que dans les rêves et qu'il serait temps de se réveiller. Mais le réveil ne sonne pas, dans la dimension où je suis. Alors je continue de croire que je rêve, mais c'est bien la réalité. Mais j'ai menti, il lui arrive de sonner, à ce réveil. Doucement, je l'espère. J'espère que c'est de cette façon là qu'il sonnera après le 1er janvier. Parce que cette fois, on sera vraiment confrontés à la réalité.

    Mais l'angoisse s'enfuit, un peu comme se sont enfuient mes certitudes au cours des derniers mois. Quand je regarde le "moi" d'il y a six mois, il y a eu du changement.  Mes certitudes d'alors se sont tout simplement envolées pour laisser la place à d'autres, différentes. Je ne suis pas mieux, je suis juste différent. La vie m'a imposé ses choix et ses aléas, j'ai réussi à faire avec, à mûrir, à grandir, encore. Et je me retrouve aujourd'hui à vivre des moments qui me semblaient inimaginables il y a quelques mois ou quelques semaines. Pour le plus grand bonheur de mon insatiable envie de découverte.

    J'ai du mal à cesser de contempler ces yeux qui me regardent me réveiller, à observer chacun de ses gestes, à écouter patiemment les mots sortir de sa bouche. J'ai du mal à me dire que dans quelques semaines les choses seront différentes. Mais demain est un autre jour. Demain, c'est dimanche, même si on est déja demain. Et demain, je vais me retrouver à affronter les questions naïves de deux gamins aussi curieux que moi de savoir ce qui se cache derrière le mystère qui enveloppait jusqu'à maintenant notre existence l'un pour l'autre.

[La suite au prochain épisode...]

Jeudi 17 novembre 2011 à 13:47

    Il semblerait bien que des jours meilleurs s'offrent à moi. On dirait que je respire normalement ou presque et que je ne meurs pas d'asphyxie à chaque montée d'escaliers et ça c'est un grand progrès. Je ne vais quand même pas commencer à me préparer pour le prochain marathon mais la forme revient.

    Et puis, et puis, il y a cette comète qui devait tomber. Et qui, en théorie, est déja tombée. En pratique c'est différent. L'administration, quand elle est lente, a le pouvoir de ralentir la chute des comètes et c'est le cas ici. Comme ça joue largement à mon avantage, je ne vais pas trop m'en plaindre, même si j'aimerais bien qu'un courrier de proposition d'embauche arrive dans ma boîte aux lettres, histoire d'être certain. Pour en revenir à la comète, je sais qu'elle va tomber bientôt, mais ça ne me fait plus peur. Je n'ai plus cette idée là en tête. C'est comme si quelqu'un avait retiré cette épée de Damoclès qui traînait au-dessus de ma ma tête. C'est juste bien, juste agréable, les nuages partent.

[La vie est belle.]

Lundi 24 octobre 2011 à 16:32

    Elle avait ce goût là, la toute première, allumée en cachette il y a sept ans. Même si, à l'époque, je crapotais plus ou moins. C'est fou comme les goûts changent avec l'habitude et reviennent au détour d'un sevrage. Forcé, le sevrage. Je suis bien conscient que s'en griller une après avoir passé quelques jours avec un poumon réduit de moitié et du sang pour garnissage n'est pas forcément l'idée du siècle. Mais rien que pour la madeleine, c'est un vrai plaisir. Pour la petite sensation de tête qui tourne, aussi, comme si je venais de tirer sur LE méga-pétard de juillet dernier.

    A force de penser que je retrouve les sensations de mes seize ans, en voila une autre qui est apparue. Je l'attendais pas. Et sûrement pas comme ça. Mon adolescence sensitive et émotionnelle me poursuit. J'aurais préféré n'en garder que les bons côtés. Même si j'avoue que c'était un réel plaisir de voir cette amie du lycée, maintenant externe, toquer à la porte de ma chambre à 23h. La vie, ça ne tient parfois à pas grand chose. Dans mon cas, à une bouffée d'air.

    Heureusement, au détour d'un début de rétablissement, un coup de téléphone est venu me rappeler que les années n'étaient pas passées pour rien et que j'avais bel et bien vingt-trois ans. De toute façon, je ne pourrai jamais effacer les années qui me séparent de mon adolescence, qu'on se le dise. Elles m'ont construit, m'ont fait comme je suis, un salaud mais pas un pourri. Après de longues semaines d'attente incertaines, c'est sûr. Mon prochain appartement sera lorrain. Et, comme la vie est bien faite, c'est pour janvier. Au moins, j'ai le temps de me remettre de mes émotions, de me préparer à y retourner. Ca laisse un peu de sursis à l'angoisse de la comète aussi. Reculer pour mieux sauter, peut-être pas, mais pour moins tomber, sûrement.

    J'ai encore un peu de mal avec l'idée que les poils de ma barbe soient plus longs que ceux de mes bras et de mon torse réunis, mais ça devrait passer. J'ai aussi un peu de mal avec la cicatrice qui orne mon flanc gauche, mais ça devrait passer. J'ai un peu de mal avec l'étrange sensation qui règne entre mes côtes. Mais, comme le reste, ça devrait passer.

    Je dédicace le titre à mon ami l'haricot, qui ne lira probablement jamais ce texte. Mais rendons à César ce qui lui appartient et ce titre lui appartient pleinement. Et puis, il le mérite largement, pour toute son oeuvre.

[Il faut que tu respires, et ça c'est rien de le dire.]

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